Lettre ouverte aux gouvernements et aux institutions de l'UE
Monsieur Josep Borrell Fontelle, High representative/vice-president of the European Union
Madame Ursula von der Leyen, President of the European Commission
Monsieur Valdis Dombrovskis, European Commissioner for Trade
Madame Stella Kyriakides, European Commissioner for Health & Food Safety
Monsieur Bernd Lange, Chairperson of European Parliament Committee on International Trade
Monsieur Pascal Canfin, Chairperson of European Parliament Committee on Environment, Public Health and Food Safety
Monsieur Tomas Tobé, Chairperson of European Parliament Committee on Development
Monsieur Manfred Weber, President of EPP in the European Parliament
Madame Iratxe García Pérez, President of S&D in the European Parliament
Monsieur Dacian Ciolos, President of Renew Europe in the European Parliament
Madame Manon Aubry et monsieur Martin Schirdewan, co-presidents of the Left GUE in the European Parliament
Madame Ska Keller et monsieur Philippe Lamberts, co-presidents of Greens/EFA in the in the European Parliament
Le 7 avril, Journée mondiale de la santé, nous, une large coalition d'organisations de la société civile dans toute l'Europe, appelons d'urgence nos gouvernements et les institutions de l'UE à mettre en oeuvre une réponse basée sur une solidarité mondiale afin de lutter contre la COVID-19. Nous demandons d'agir de sorte que les vaccins et les produits médicaux contre le coronavirus soient disponibles pour tous, partout dans le monde. Leur production doit être accélérée le plus rapidement possible. Pour que cela devienne une réalité, les droits de propriété intellectuelle (DPI) doivent être temporairement suspendus, et les technologies de production et le savoir-faire doivent être largement partagés. Nous devons agir maintenant pour que la pandémie n'entre pas dans l'histoire comme un échec moral des pays riches au détriment des vies vulnérables dans le monde entier.
Plus d'un an après le début de la pandémie, la réponse de l'Europe face à la propagation du virus n'est pas adaptée. Non seulement la pandémie a déjà coûté la vie à 860 892* personnes sur le continent, mais elle a également mis à rude épreuve les professionnels et les systèmes de santé. Ainsi, la pandémie a très justement mis en évidence les principales faiblesses de nos systèmes de santé. Après des années de réductions soutenues des services publics et de politiques basées sur l'austérité, les systèmes de santé ont été pris au
dépourvu face à une épidémie de cette ampleur et ne tiennent debout que grâce au dévouement des personnes travaillant dans les établissements de santé.
On pourrait espérer que dans des circonstances exceptionnelles comme une épidémie mondiale, la logique du profit ne prévaudrait plus sur la vie et les moyens de subsistance des gens. En effet, au début de la pandémie, des déclarations ont été faites dans ce sens. De nombreux responsables, dont Ursula Von Der Leyen, nous ont assuré que le vaccin COVID-19 devrait - et serait - traité par l'UE comme un bien public mondial. Pendant ce temps, les responsables de l'UE et des États membres nous ont fait croire que la réponse à la pandémie serait alimentée par des mécanismes mondiaux tels que l'accélérateur ACT, qui permettrait aux pays d'accéder aux produits nécessaires indépendamment de leurs revenus.
Contrairement à ces premières promesses, nous sommes aujourd'hui témoins du nationalisme extrême défendu par de nombreux pays occidentaux concernant les vaccins. Les pays à revenu élevé ont accaparé 53% des vaccins disponibles alors qu'ils ne représentent que 14% de la population mondiale, au mépris des besoins des autres. Le montant que les pays européens ont promis à COVAX, le mécanisme dirigé par l'OMS pour garantir les vaccins aux pays à revenu faible et moyen, bien que très apprécié, est loin d'être suffisant pour faire de l'accès équitable une réalité. Selon Economist Intelligence Unit, "dans les pays en développement, la couverture vaccinale généralisée ne sera pas atteinte avant 2023, si tant est qu'elle le soit".
Non seulement les mécanismes de solidarité mondiale sont restés lettre morte en raison de fonds insuffisants et du nationalisme vaccinal, mais la distribution équitable des vaccins a été entravée par les pays à revenu élevé au sein de l'OMC. Le Royaume-Uni, la Norvège, les États-Unis et l'Union européenne font toujours partie des quelques pays qui bloquent une proposition de dérogation à certains aspects de l'accord ADPIC** soumise par l'Inde et l'Afrique du Sud en octobre 2020. La proposition permettrait aux pays de choisir de ne pas accorder ni faire respecter les brevets et autres droits de propriété intellectuelle (DPI) liés aux produits COVID-19 tels que les médicaments, les vaccins, les masques et les ventilateurs durant la pandémie. Cela permettrait de disposer d'un espace juridique pour collaborer à la recherche et au développement, à la fabrication, à la mise à l'échelle et à la distribution des solutions contre la COVID-19, telles que les vaccins.
Une suspension temporaire des DPI est le seul moyen d'augmenter la production et d'élargir l'accès aux vaccins rapidement. S'appuyer sur des outils tels que les licences obligatoires, que l'UE préconise à l'OMC, ne permet pas d'atteindre le même résultat. Nous savons par expérience que l'introduction de telles licences peut prendre des années, et nous devons nous interroger sur la possibilité de les mettre en oeuvre dans ce contexte, étant donné qu'en de précédentes occasions, l'UE a fortement critiqué d'autres pays pour s'être appuyés sur des licences obligatoires.
Enfin, non seulement nous devons renoncer temporairement à ces DPI, mais il faut aussi que nos gouvernements exigent que les connaissances sur la production des vaccins COVID-19 soient partagées par les fabricants. Une pandémie n'est pas un moment propice au secret industriel. L'UE a l'impératif moral de prendre des mesures conformes à ce que demande sa population : des enquêtes récentes ont montré qu'en moyenne 69% de la population des pays occidentaux pensent que les gouvernements devraient veiller à ce que la science et le savoir-faire en matière de vaccins soient partagés avec les fabricants qualifiés du monde entier.***
L’union européenne a fait des investissements énormes dans la recherche, le développement et la production de vaccins, permettant d'accélérer la mise en place de vaccins dans des circonstances sans précédent. Malgré cela, nous avons vu que les institutions européennes
n'ont posé aucune condition à ces investissements massifs accordés à Big Pharma : elles ont signé des accords non transparents (très profitables pour ces multinationales qui ont acquis des brevets sur les vaccins au lieu d’en faire un bien public mondial), ne gardant aucun contrôle sur les personnes à qui ces biens financés par des fonds publics seraient disponibles, à quel prix et quand.
C'est pourquoi, en cette Journée mondiale de la santé, nous soutenons l'initiative citoyenne européenne Right to Cure, qui répond à toutes ces préoccupations par des demandes concrètes adressées à la Commission européenne. La COVID-19 est devenue un énorme business lucratif au coût conséquent pour notre santé et pour la vie de nombreuses personnes dans le monde. Les institutions de l'UE et les gouvernements des pays européens doivent maintenant prendre leurs responsabilités et remodeler leur réponse à la pandémie du coronavirus, en veillant à ce que les vaccins soient disponibles pour tous et que l'intérêt des entreprises pharmaceutiques ne passe pas avant la santé du peuple. Seule une réponse à échelle mondiale, basée sur la solidarité mondiale sera efficace pour lutter contre cette pandémie.
L’initiative citoyenne européenne peut-être signée ici www.noprofitonpandemic.eu/fr