Les chiffres des dernières analyses des Mutualités Libres confirment une tendance claire : plus on vieillit, plus le recours aux psychotropes augmente, tandis que les soins psychologiques perdent du terrain. En 2024, près d'un octogénaire sur quatre prenait des antidépresseurs, contre moins d'une personne sur dix parmi les moins de 40 ans. L’utilisation d'antipsychotiques est aussi élevée : environ un octogénaire sur 15 s'est vu prescrire ce type de médicament au moins une fois au cours de l'année écoulée. En maisons de repos, ces chiffres sont encore plus élevés : près d’un résident sur deux prend des antidépresseurs, et un résident sur trois des antipsychotiques.
Malgré leur riche expérience de vie, leur résilience et leur sagesse, qui peuvent les aider à traverser des périodes difficiles, les personnes âgées ne sont pas à l’abri des problèmes psychiques. Divers facteurs comme les problèmes de santé, deuils ou perte d’autonomie peuvent les rendre plus vulnérables. Et pourtant, elles font relativement peu appel aux services d’aide psychologique. Les chiffres de la convention soins psychologiques de première ligne, créée pour rendre ces soins plus accessibles, montrent que ce sont surtout les jeunes adultes qui y ont recours. Après 65 ans, le recours chute fortement et, chez les plus de 80 ans, il devient quasiment négligeable, malgré le fait que les obstacles financiers aient été en grande partie supprimés dans ce dispositif.
Pourquoi les personnes âgées recourent si peu à cette forme de soin ? Plusieurs facteurs l’expliquent : une offre de soins correspondant peut-être moins bien à leurs besoins, des contraintes pratiques comme la mobilité, mais surtout il semble exister des barrières plus profondes. Pour beaucoup d’aînés, la santé mentale reste encore un tabou. Les sentiments dépressifs ou les angoisses sont souvent considérés comme normaux avec l’âge, ou il leur manque des mots pour les exprimer. Résultat : ces signaux passent souvent inaperçus tant pour les personnes âgées que pour leur entourage ou le personnel soignant. Ainsi, la demande de soins est souvent sous-estimée. S’il existe déjà des initiatives visant à renforcer la résilience mentale et la littératie en santé des jeunes, l'offre pour les aînés reste quant à elle insuffisante.
Les psychotropes peuvent aider dans certaines situations mais leur consommation prolongée comporte des risques considérables : chutes, troubles cognitifs et interactions nocives avec d’autres médicaments. Parallèlement, des opportunités restent inexploitées pour favoriser le rétablissement psychique avec des thérapies efficaces même à un âge avancé. La santé mentale constitue en effet un pilier fondamental de la qualité de vie, quel que soit l'âge.
Le Centre Fédéral d'Expertise des Soins de santé et le Vlaamse Ouderenraad avaient déjà formulé, dans leurs rapports respectifs de 2018 et 2020, des recommandations concrètes pour améliorer la santé mentale des aînés. Pourtant, l'écart entre l’utilisation de médicaments et le soutien psychologique reste criant. Pour y remédier, une collaboration entre les différents niveaux de pouvoir est indispensable. Aujourd'hui, le paysage des soins de santé est encore trop fragmenté et la politique concernant les personnes âgées peut facilement se retrouver entre deux feux. La santé mentale doit trouver une place structurelle dans les politiques en faveur des aînés, et pas seulement lorsque la situation est déjà critique.
Que faire ?
- Renforcer la littératie en santé mentale des personnes âgées et de leurs aidants proches.
- Mettre en place des campagnes ciblées via des canaux et dans des lieux fréquentés par les personnes âgées.
- Organiser des sessions sur le stress, le deuil, la dépression, l'anxiété ou d’autres thèmes pertinents pour les aînés, dans le cadre de la convention sur les soins psychologiques de première ligne.
- Utiliser le témoignage de pairs pour briser les tabous.
- Intégrer la santé mentale dans les bilans de santé existants ou les soirées d'information sur la nutrition, l’exercice physique ou les maladies chroniques, afin que ces thèmes deviennent aussi banals que la tension artérielle ou le diabète.
- Élargir l’offre de soutien psychologique spécifiquement destinée aux personnes âgées, et garantir son accessibilité financière et pratique.
- Adapter les approches thérapeutiques aux besoins des aînés.
- Rendre le soutien psychologique systématique dans les maisons de repos, notamment au moment de l’admission.
- Fournir une aide logistique aux personnes âgées pour les déplacements ou recourir à la téléconsultation quand c’est approprié.
Ces efforts nécessitent des investissements, mais surtout une prise de position claire : reconnaitre que la santé mentale des aînés mérite autant d'attention que leur santé physique.
Vieillir ne doit pas rimer avec “plus de médicaments, moins de dialogue”. Les chiffres parlent d’eux-mêmes mais des solutions existent. Il est essentiel de les appliquer : pour nos parents, grands-parents, et finalement pour nous-mêmes. Comme le chantait Jacques Brel : “Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s’ensommeillent, leurs pianos sont fermés…” À moins que nous choisissions collectivement d’écouter. Et d’agir.