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[Introduction musicale]
MARIANNE : Un verre, ça va. Trois verres, bonjour les dégâts. On a tous entendu cette phrase, mais concrètement, où se situe la limite ? Est-ce qu'un verre par jour, c'est déjà trop ? Faut-il forcément arrêter complètement pour réduire les risques ? Y a-t-il une consommation d'alcool sans risque ? Comment comprendre notre propre rapport à l'alcool et celui de la société ? On en parle sans filtre dans le podcast des Mutualités Libres.
[Musique]
MARIANNE : Bonjour et bienvenue dans le podcast des Mutualités Libres qui décrypte avec vous les enjeux de santé. Aujourd'hui, on va parler de l'alcool. Trinquer entre amis, fêter une réussite, se détendre après une journée chargée, l'alcool est ancré dans les habitudes de certains. A quel point impacte-t-il notre santé ? Quelles sont les mesures de prévention qui existent et comment est-il réglementé en Belgique ? Pour y répondre, j'accueille Martin de Duves. Bonjour Martin.
MARTIN : Bonjour
MARIANNE : Alors Martin, tu es directeur d'Univers Santé, tu es aussi alcoologue, membre du Conseil supérieur de la santé, mais tu es aussi un buveur d'alcool occasionnel.
MARTIN : Et oui, ça m'arrive. Comme presque 85 % des Belges d'ailleurs.
MARIANNE : Et est-ce que c'est normal pour un alcoologue ?
MARTIN : On peut se poser la question. C'est vrai qu'une consommation d'alcool sans risque n'existe pas, mais malgré le fait que j'en sois bien conscient, effectivement, j'aime boire un verre d'alcool de temps en temps, probablement parce que c'est très culturel et que je suis ancré dans la culture calamienne comme bon nombre de mes concitoyens.
MARIANNE : Tu sais nous dire quels sont les effets de l'alcool sur la santé physique, mais aussi la santé mentale ?
MARTIN : On ne va pas tous les énumérer parce qu'ils sont très nombreux. Il y a 200 pathologies qui sont liées à l'alcool. Donc, qu'on le veuille ou non, et ce sont des données qui sont de plus en plus étayées dans la littérature scientifique. Mais, malheureusement, dès le premier vers, l'alcool comporte des risques. On a souvent entendu qu'un verre par jour était bon pour le cœur, par exemple. C'est faux, malheureusement. Je ne sais pas si on a le temps d'aller dans le détail, mais certaines études parlent de cet effet bénéfique sur le cœur. On peut tordre le cou à ces études. Un, parce qu'elles sont financées, pour les deux principales en tout cas, par les alcooliers eux-mêmes. C'est une première raison d'être un peu suspicieux. Deuxièmement, parce que si on va dans le détail de ces études, on remarque que ce sont les polyphénols qu'on retrouve dans certains types d'alcool qui sont en fait liés aux fruits rouges. On retrouve des polyphénols dans les fruits rouges. Ça, ces polyphénols sont bénéfiques pour le cœur. Mais l'alcool qui est contenu dans le même verre, lui, est néfaste pour le cœur. Il augmente le risque d'hypertension artérielle, de cardiomyopathie, d'AVC et ainsi de suite, d'accidents vasculaires de manière générale.
MARIANNE : Donc finalement, dire qu'il y a des effets sur la santé physique et mentale, c'est comme dire à un fumeur que le tabac c'est pas bien.
MARTIN : Évidemment, c'est-à-dire que l'alcool est mauvais pour la santé, qu'on le veuille ou non, et c'est la dose qui va faire le poison.
MARIANNE : Justement, comment est-ce qu'on sait qu'on a un problème d'alcool ? Est-ce que c'est lié à la quantité qu'on boit ?
MARTIN : Alors, certains vont dire que c'est en lien avec la quantité. D'autres, et dont je fais partie, vont plutôt dire qu'il s'agit de vérifier quel est notre rapport à l'alcool.
À partir du moment où on commence à se poser des questions en se disant tiens, peut-être que j'ai tendance à boire un peu trop souvent ou un peu trop tout court, ou les deux, c'est que probablement la consommation est déjà problématique. Il faut savoir que ça n'est pas anodin, cette surconsommation d'alcool en Belgique. D'abord, les Belges, en moyenne, boivent deux fois trop et il y a un Belge sur sept qui a une consommation vraiment problématique d'alcool donc qui engendre déjà des problèmes de santé physique, mentale ou sociale. Et un belge sur quatorze qui présente des signes de dépendance très francs. Ça fait beaucoup de monde. Donc finalement, nous sommes presque tous concernés et il faut arrêter de penser que l'alcool, c'est soit noir ou blanc, comme si soit il n'y a pas de problème du tout, soit tout d'un coup, on se réveille et on est vraiment alcoolo-dépendant profond. Parce que finalement, si on interroge des gens dans la rue : c'est quoi l'alcoolisme ? Ah, l'alcoolisme, c'est quelqu'un qui boit dès le matin, etc. Ben en fait, non, c'est pas ça l'alcoolisme. Enfin, ça peut être ça, mais c'est assez rare finalement. La plupart des personnes qui présentent des signes de dépendance sont des personnes qui sont tout à fait insérées socialement, qui ont un boulot, qui ont une famille, qui se lèvent tôt le matin et qui vont au travail.
MARIANNE : On ne se réveille pas un jour alcoolique ?
MARTIN : Hé non, c'est pas comme ça que ça se passe. En fait, c'est plutôt quelque chose qui évolue dans le temps. Il faut voir la consommation d'alcool comme un continuum. De l'abstinence, quand on est abstinent, enfin tout ce que je peux souhaiter à un nouveau-né, jusqu'à la dépendance sévère. Et entre ces deux extrêmes, il y a évidemment une multitude d'étapes. On peut être consommateur occasionnel ou festif. On peut être consommateur régulier mais léger. On peut être consommateur régulier, un peu plus important, voire excessif, et puis on peut commencer à avoir des premiers signes de dépendance, et puis des signes de dépendance marqués, et puis des signes de dépendance sévères. Donc vous voyez qu'on peut évoluer sur ce continuum. Et en fait, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse. On peut imaginer par exemple, ben voilà, à l'adolescence, je suis encore assez sage et puis je rentre dans l'enseignement supérieur, là je commence à découvrir la guindaille, la fête. Je me laisse un peu aller, voire fort, aller, mais malgré tout, je réussis des études. Et puis je rentre dans la vie professionnelle et là, j'ai un boulot prenant et donc je dois me lever tous les jours à 6h30, 7h du matin et donc là, je me calme quand même un peu. Et puis j'ai un enfant, et puis un deuxième, et là, la vie est encore plus dense parce que...
MARIANNE : Puis, on aime bien son petit verre le soir après...
MARTIN : Et puis effectivement, les enfants, c'est quand même fatigants et énervants parfois. On les aime beaucoup mais ça peut être fatigant et puis donc on rentre du boulot et pour pouvoir poser ses valises on prend un premier verre pour se déstresser un peu. Et puis l'alcool s'invite finalement parfois de manière quasi quotidienne et puis on se rend pas compte.
MARIANNE : C'est insidieux ...
MARTIN : C'est insidieux et puis on commence à avoir une consommation un peu régulière et excessive et puis vers quarante ans, crise de la quarantaine, on se reprend un peu quand même, on fait les vingt kilomètres de Bruxelles cette année donc on se calme et on va arrêter de boire pendant un mois ou deux. Et donc, on retrouve une consommation non problématique. Et donc, bref, tout ça pour dire que finalement, on voyage sur ce continuum. Et il faut arrêter de voir la problématique de l'alcool comme noire ou blanche. C'est souvent tout à fait gris. Et donc, j'invite en fait les auditrices, auditeurs à consulter beaucoup plus vite que ce qu'ils ne font. On attend en général beaucoup trop longtemps. Quand on commence à se poser des questions sur sa consommation d'alcool, c'est qu'il est temps en fait d'aller voir un spécialiste, une spécialiste pour en parler.
MARIANNE : Est-ce qu'il y a différentes façons de boire de l'alcool ? On peut parler parfois du verre médicament, le verre émotionnel et ce genre de choses ?
MARTIN : Oui, c'est peut-être une première étape que chacun, chacune peut faire. C'est d'identifier, d'essayer d'être le plus honnête possible dans sa consommation et de voir finalement : les verres que je consomme, ils peuvent avoir des teintes différentes. Il y a des verres effectivement “plaisir”. On a d'ailleurs souvent envie de mettre une étiquette “verre plaisir” sur nos consommations. Mais cette affaire avec la distinction des verres “médicaments” et des verres ”réflexes”. Alors, le “verre médicaments”, le verre anxiolytique : j'ai besoin d'un verre de vin, de bière ou autre quand je rentre du travail parce que sinon je suis encore stressé et anxieux, un verre anxiolytique et donc c'est un verre médicament. Et ça, c'est vers là, en général, c'est pas bon signe. C'est qu'on utilise une stratégie qu'est l'alcool pour remédier un autre problème et donc ça, ce n'est pas bon signe.
Le “verre réflexe” est typiquement le verre dont on ne se rend même pas compte lorsqu'on le prend. On a pris ce premier verre médicament, peut-être, et puis on commence à cuisiner, On coupe ses légumes, on papote, on écoute la radio et puis on se resserre sans même s'en rendre compte et on boit le deuxième verre sans même vraiment s'en rendre compte. C'est ni du plaisir, ni du médicament, c'est le verre réflexe. Et ça, il y en a pas mal en général. Ceux-là aussi, en fait, ils sont assez peu utiles. L'idée, c'est d'essayer d'aller décortiquer un peu sa consommation et de faire la distinction entre ces différents verres pour justement mieux appréhender sa consommation et d'éliminer toutes ces unités d'alcool qui ont pas très intéressantes en terme de plaisir.
MARIANNE : Est-ce qu'on peut dire que ça joue des tours à notre cerveau ?
MARTIN : Alors, à force d'avoir des consommations un peu trop fréquentes et ou un peu trop importantes, finalement, il se passe quelque chose dans le cerveau. On ne va pas rentrer trop dans les détails mais le cerveau s'habitue à recevoir une certaine quantité de neurotransmetteurs qui eux-mêmes sont provoqués par l'alcool. Et ça veut dire que, insidieusement, notre cerveau commence à nous jouer des tours. C'est-à-dire que comme il s'habitue à ce qu'on lui en donne, si jamais tout d'un coup on se dit “Ah, mais non, cette semaine, je ne bois pas”. Premier jour, tout va bien. Deuxième jour, ça va. Troisième jour, peut-être qu'on a quand même déjà envie d'un verre, voire on craque déjà, et le quatrième, n'en parlons pas. Eh bien, ça, c'est peut-être votre cerveau qui est en train de dire : “eh, eh, eh, qu'est-ce qui se passe ? Donne-moi ce produit. Parce que j'en ai besoin pour fonctionner normalement”. C'est-à-dire que le cerveau a fait de cette consommation d'alcool sa nouvelle normalité et que si vous l'arrêtez, il n'est pas content et il le réclame. Notre cerveau nous joue des tours et on va jouer des tours à notre cerveau. Et on va finalement essayer de contrer ce phénomène. Alors c'est possible pour la majorité des personnes qui surconsomment de l'alcool et puis pour une petite minorité des personnes qui ont des signes de dépendance sévère. Là, malheureusement, il n'y aura plus d'autre solution que d'aller vers l'abstinence. Et c'est pour ça que j'insiste, dès que l'on se pose la question de “est-ce que ma consommation est OK ?” , ça veut dire qu'il vaut mieux consulter parce que quand on attend trop longtemps, en moyenne dix-huit ans, les gens attendent dix-huit ans avant de consulter, c'est pas facile de consulter pour l'alcool. Il est surtout de bon ton dans notre culture, dans notre société, d'en consommer.
MARIANNE : Une grande partie des gens peut-être pensent qu'en allant consulter, on va leur dire c'est l'abstinence.
MARTIN : Et oui, et effectivement, parce que c'est l'image qu'on a de l'accompagnement sur ces questions. Alors qu'en fait, pour bon nombre des surconsommateurs d'alcool, on peut d'abord travailler à une forme de rééducation de la consommation pour retrouver une consommation d'alcool moins dangereuse, moins problématique.
MARIANNE : C'est un des rôles des prestataires de soins, ça ?
MARTIN : Oui, et c'est même aussi un rôle des facultés et des futurs acteurs psycho-médico-sociaux que d'être bien formés à ces approches. Ce sont des approches plutôt récentes et nouvelles. Et je pense que c'est important de sensibiliser. Alors il y a des acteurs et des fédérations qui le font. Je pense à la SSMG qui interpelle beaucoup...
MARIANNE : La Société scientifique de médecine générale pour ceux qui ne le servent pas...
MARIANNE : Effectivement. Et eux font un travail formidable de formation continue auprès des médecins généralistes. Mais c'est vrai qu'il y a encore du boulot quoi. Aborder ces questions-là de manière un peu nuancée, dire qu'il y a différentes approches thérapeutiques possibles et pas uniquement l'abstinence, je pense que c'est un premier pas vers la réduction de ce qu'on appelle le treatment gap.
MARIANNE Ça, c'est la sous-estimation de la dépendance en Belgique, c'est ça ?
MARTIN : En fait, le treatment gap, c'est une notion générale en santé publique. Comme son nom l'indique en anglais, c'est la différence entre le nombre de personnes qui souffrent d'une problématique de santé et le nombre de personnes qui se font effectivement accompagner ou soigner pour cette problématique de santé. En matière d'alcool, on est à 92 %. Donc autrement dit, sur cent personnes qui ont un problème d'alcool, d'abord, il n'y en a que quinze qui vont être diagnostiqués et il n'y en a que huit qui vont consulter. 8 %. Donc, treatment gap gigantesque. Ça veut dire qu'il y a bon nombre de personnes, peut-être parmi nos auditrices et auditeurs aussi, qui ferait mieux d'aller voir quelqu'un pour voir s'il n'y a pas lieu de corriger un peu le tir et de modifier les pratiques de consommation.
MARIANNE : Qu'est-ce qu'on peut dire de la réglementation en Belgique aujourd'hui ?
MARTIN : Elle est catastrophique.
MARIANNE : C'est clair [rires]
MARTIN : Je suis assez net.
MARIANNE : Pourquoi elle est catastrophique ?
MARTIN : Parce que la Belgique aujourd'hui, et je vais dire en d'autres termes, est complice de la surconsommation des Belges. On a une fâcheuse tendance, et c'est très récent, mais en santé publique et auprès de certains de nos responsables politiques, de mettre le curseur de la responsabilité sur les individus.
Or, la santé publique, c'est évidemment une question de choix personnel, mais c'est aussi et surtout une question de choix sociétaux. Aujourd'hui, la Belgique est complice. Pourquoi ? Par son inaction, par une réglementation très laxiste sur l'alcool, par une hypervalorisation de l'alcool en laissant, par exemple, faire de la publicité à peu près partout et tout le temps. C'est quand même Le seul psychotrope pour lequel on peut faire de la pub. On peut s'interroger là-dessus, parce que ça nous semble normal, parce que c'est dans notre environnement, mais posons-nous la question : si demain on autorisait de la pub pour du tabac, c'était il y a pas si longtemps, mais tout le monde crierait au scandale ? Ou pour des médicaments psychotropes, je sais pas moi, du Diazepam, du Valium ou autre, tout le monde dirait : “ben non, ça ne va pas”. Et bien pourtant, l'alcool, c'est la deuxième cause de mortalité évitable juste derrière le tabac. Donc non, ce n'est pas un produit anodin. Évidemment, moi, je ne suis pas du tout un prohibitionniste. Il faut qu'on puisse continuer à mettre de l'alcool à disposition de la population. Pas de problème. Par contre, il ne faut pas en faire une hyper-promotion.
MARIANNE : C'est une question d'information alors aussi ?
MARTIN : Et alors, par ailleurs, effectivement, c'est assez juste, j'attire votre attention à toutes et tous : il n'y a aucune information nutritionnelle sur les bouteilles d'alcool. C'est le seul produit que nous ingérons pour lequel il n'y a aucune information. Vous n'avez pas le nombre de calories par cent millilitres, vous n'avez pas la composition, vous ne connaissez pas le nombre d'unités d'alcool par bouteille.
Ça, ça me permet de faire le lien avec un autre aspect, c'est qu'il y a des recommandations en matière de consommation. Le Conseil supérieur s'est prononcé là-dessus. Normalement, théoriquement, on ne devrait pas dépasser dix verres par semaine. Mais c'est quoi un verre ?
MARIANNE : Mais c'est quoi dix verres ?
MARTIN : Oui, c'est quoi dix verres ? Il y a verre et verre, quoi. On est au pays de la bière spéciale. Entre une pils de vingt-cinq centilitres à cinq degrés et une bière triple trappiste de trente-trois centilitres à neuf degrés, on peut parfois faire jusqu'à fois trois. Une bière est trois fois plus puissante que l'autre. C'est comme si on en buvait trois. Donc ça change tout. Vous vous servez un grand verre de vin ou un petit verre de vin, ben ça peut aller du simple au triple.
MARIANNE : Vous travaillez ça avec vos patients, cette quantité d'alcool, cette unité ?
MARTIN : Ben oui, j'ai une collection de verres dans mon cabinet, ils sont pas là pour décorer, ils sont là pour faire cet exercice. Et j'ai un patient, par exemple, qui est arrivé qui disait boire deux à trois verres de vin par jour et souvent un à deux whisky derrière. Quand on a fait cet exercice-là, en fait, il s'est avéré que lui pensait boire trois à cinq verres par jour. La réalité, c'est qu'il était entre huit et vingt....
MARIANNE : unités d'alcool, donc des verres standards.
MARTIN : Evidemment, mais ça change tout. Et donc, informer correctement le consommateur, c'est une responsabilité de l'État. L'État est donc complice de notre non-information. Il est complice de cette hyper-promotion par la publicité. Il est complice d'une réglementation qui est un peu plus permissive pour les brasseurs à partir de seize ans par rapport aux spiritueux qui sont accessibles à partir de dix-huit. D'ailleurs, soit dit en passant, cette règle est trop complexe, ce qui fait qu'il y a plus de 90 %, 90 % des commerces qui ne la respectent pas. Donc il y a tout un système qui fait qu'aujourd'hui, finalement, la réglementation est totalement inadaptée.
MARIANNE : Et pas claire si je comprends bien ce que vous dites.
MARTIN : Tout à fait.
MARIANNE : Et au niveau de la prévention, est-ce que c'est aussi un angle mort de la politique actuelle ?
MARTIN : La Belgique est un des pays qui finance le moins les politiques de prévention. Or, on sait qu'elles sont les plus porteuses à moyen et long terme. Même sur le plan économique. Parce que c'est souvent cet argument-là. On dit oui, mais la prévention, ça coûte cher. D'abord, aujourd'hui, par rapport à l'ensemble des coûts des soins de santé, la prévention c'est moins de 1 %. Donc on ne peut pas dire qu'on investit beaucoup quand même. Et par ailleurs, je ne sais pas si vous avez des placements financiers, mais je vous invite à les mettre dans la prévention parce qu'il y a une étude qui est parue dans The Lancet qui montre que un euro investi en prévention, c'est quatorze euros récupérés à moyen terme. quatorze euros.
Donc, si l'État cherche des investissements rentables, en voilà un.
MARIANNE : Est-ce qu'il y a, par rapport au problème d'alcool, au problème de dépendance à l'alcool, est-ce qu'il y a des publics qui sont plus à risque que d'autres ?
MARTIN : Oui, il y a deux principaux publics et j'en citerai peut-être un troisième. Le premier public plus vulnérable, ce sont les jeunes. Qui, par le développement neurologique qui est encore inachevé, notamment le cortex préfrontal, la partie avant du cerveau qui arrive à maturation que vers vingt-cinq ans. Ça fait que les jeunes sont plus vulnérables aux consommations de psychotropes de manière générale et à l'alcool en particulier. Donc il y a évidemment un risque accru chez les jeunes. D'ailleurs, on sait aussi que plus on commence à boire ses premiers verres jeunes, plus on a des risques d'être alcoolo dépendant à l'âge adulte. Au-delà des effets neurologiques. Ça, c'est un premier public. Deuxième public, c'est les personnes qui sont déjà en situation de consommation problématique ou en situation de dépendance. Parce que se créent des fragilités liées à cette consommation, un risque accru de craving. Par exemple, la publicité va avoir un impact plus important chez les personnes alcoolodépendantes par ce biais attentionnel qui se crée...
MARIANNE : Elles sont plus sensibles ?
MARTIN : Tout à fait. En fait, plus sensibles aux signaux alcool. Et chez les jeunes, par le sous-développement du cortex préfrontal, les jeunes seront aussi un peu plus sensibles à la publicité. Ça ne veut pas dire que les adultes ne le sont pas. Mais les jeunes y sont un peu plus sensibles. Et puis, troisième public, et là je suis désolé, il n'y a pas d'égalité des sexes en matière d'alcool. Les femmes sont un peu plus vulnérables que les hommes par rapport à l'alcool. Les hommes, tout simplement, diluent un petit peu plus leur alcool parce qu'ils ont un peu plus de masse liquide, ce qui n'est pas le cas des femmes. Et puis il y a une série d'autres aspects physiologiques qui font que les femmes sont un peu plus vulnérables et donc elles doivent être un peu plus vigilantes aussi.
MARIANNE : Ce qui ne voudra pas dire qu'un homme peut boire plus qu'une femme non plus, parce qu'il développera aussi d'autres risques de santé.
MARTIN : Bien sûr, et d'ailleurs, les hommes, rappelons-le, sont deux fois plus nombreux à surconsommer de l'alcool que les femmes, encore aujourd'hui en Belgique.
MARIANNE : Et les mutualités dans tout ça, elles ont vraiment une tâche de prévention, un rôle dans la prévention, notamment, mais aussi dans la co-gestion du système de santé. Comment vous voyez ce rôle ? Qu'est-ce qu'elles peuvent faire pour aider la santé des Belges ?
MARTIN : Alors, c'est évident que la prévention doit être renforcée de toutes parts, par les mutualités, par les acteurs sociaux, par les acteurs sanitaires, enfin bref, ça doit être renforcé de toutes parts. Et puis peut-être qu'il y a aussi un aspect essentiel qui n'est pas encore mis en place en Belgique, c'est le remboursement des consultations en alcoologie. Les consultations en alcoologie ne sont pas remboursés en Belgique, c'est une aberration. Je rappelle qu'il y a un million et demi de Belges qui sont en situation de consommation problématique d'alcool, 700 mille qui en sont dépendants et un sous-accès aux soins de santé.
MARIANNE : Vous faites le parallèle avec tout ce qui est tabacologie ?
MARTIN : Ben oui, les consultations en tabacologie sont remboursées, c'est très bien. Mais en alcoologie, je rappelle, deuxième cause de mortalité évitable juste derrière le tabac, c'est l'alcool. Et donc, il faut absolument renforcer cet accès aux soins. Surtout que de nouveau, ça coûtera beaucoup moins cher à l'État de rembourser ces consultations que de traiter toutes les pathologies chroniques et très graves qui peuvent découler d'une consommation excessive. Donc, il vaut mieux agir en amont, évidemment.
MARIANNE : Aujourd'hui, il n'y a pas de convention non plus, ça veut aussi dire que consulter un alcoologue peut aussi coûter, donc en termes d'accès du soin, comment ça se passe aujourd'hui ?
MARTIN : Bien sûr, il faut avoir les moyens de se soigner. On dit toujours que la Belgique est plutôt protégée sur la médecine à deux vitesses. Ben non, c'est pas le cas. Malheureusement, quand on a plus de moyens, c'est plus facile de se soigner que pour d'autres.
MARIANNE : Ça coûte cher aujourd'hui d'aller voir un alcoologue ?
MARTIN : C'est-à-dire qu'il n'y a pas de convention, les tarifs sont totalement libres, donc vous allez peut-être payer entre trente euros chez l'un jusqu'à peut-être quatre-vingts quatre-vingt-dix cent euros chez l'autre.
MARIANNE : Quel serait le message pour les auditeurs et auditrices, tant pour leur regard sur leur consommation d'alcool, mais aussi pour les prestataires de soins ?
MARTIN : J'inviterai chacun, chacune, à faire preuve d'honnêteté intellectuelle, à se dire : “je prends un petit peu de temps, quelques semaines, par exemple, pour analyser ma consommation”. Que je sois soignant ou consommateur ou les deux. Je prends le temps, c'est-à-dire que je peux télécharger une application, par exemple, il y en a plusieurs. Je ne vais pas faire la pub pour l'une ou l'autre, mais enfin, je pense à l'une qui a été proposée par Santé publique France, qui est gratuite et qui s'appelle OZ Ensemble, celle-là je peux quand même la citer. Vous pouvez, à l'aide de cette application, faire le bilan un peu de vos consommations pendant un mois, par exemple. Et ça, c'est poser un regard un peu honnête sur sa consommation. C'est déjà un premier pas pour évaluer si on est dans une situation problématique ou non. Deuxièmement, c'est de se dire, ben tiens, est-ce que je fais preuve d'esprit critique par rapport à l'ancrage de l'alcool dans notre culture ? Troisièmement, on est souvent tantôt bourreau, tantôt victime en termes de consommation. C'est-à-dire que tantôt, on est celui qui pousse les uns et les autres à consommer parce qu'on est soi-même dans une ambiance un peu festive, à dire “allez, tu prends un verre, etc.” Et tantôt, on est celui qui subit cette pression. Or, on parle beaucoup de consentement aujourd'hui, et bien le consentement, il passe aussi en matière de consommation d'alcool. Chacun, chacune fait ce qu'il veut. Et donc arrêtons de se pousser les uns et les autres à consommer. C'est déjà une première étape aussi dans le respect de chacun/chacune.
MARIANNE : Merci, Martin. C'est sur ce bon conseil qu'on va clôturer ce podcast. Alors l'alcool, c'est un sujet complexe entouré de représentations. On essaye plutôt de parler de surconsommation et un peu moins de consommation. Une surconsommation qui a un impact sur l'individu et sur la société aussi. La prévention, une réglementation adaptée peuvent sûrement faire la différence. Donc merci beaucoup Martin pour ton éclairage précieux.
MARTIN : Merci à toi pour cette invitation.
MARIANNE : On se revoit en tout cas prochainement pour un nouvel épisode du podcast des Mutualités Libres. Si vous avez aimé cet épisode, n'hésitez pas à le commenter, à lui attribuer une note également et surtout abonnez-vous à la série sur toutes les plateformes d'écoute. Vous y trouverez des sujets comme les antibiotiques, la qualité de l'air ou encore le burn-out. A bientôt !