Soins de première ligne

Quand le bien-être des futurs médecins est négligé…

Fin mai 2021, les médecins en formation étaient en grève. De manière spectaculaire, le grand public a pu découvrir une situation problématique au cœur des hôpitaux. Situation existant depuis de nombreuses années, accentuée par la pandémie. Quelques mois après la grève, rappel des enjeux de la formation des médecins spécialistes assistants, avec Serima Tebbache (photo), médecin en cours de spécialisation en pédiatrie et porte-parole du CIMACS, le Comité Interuniversitaire des médecins assistants candidats spécialistes. 

Image
futur-medecins

"La problématique des médecins assistants, ce sont les aspects  formation (supervision) et emploi (horaires de travail) qui se mélangent", explique Serima Tebbache. "Les médecins-assistants sont des employés mais pas des travailleurs, c'est un statut assez flou. Ce manque de reconnaissance du statut de travailleur nous empêche d'avoir accès au droit du travail. On ne bénéficie pas d'un contrat de travail avec les hôpitaux mais d'une convention de stage qui indique un horaire de base de 48h semaine, avec en pratique l'obligation de signer un avenant au contrat, appelé "opting out", qui permet de travailler jusqu'à 60h semaine, parfois plus en fonction des spécialités."

Tebbache

Horaires infernaux

Malgré ces balises, les horaires de travail des médecins-assistants ne sont pas respectés. "Beaucoup d'hôpitaux ne respectent pas la limite des 24h de travail. Il arrive que des médecins en formation enchaînent une journée de travail, une nuit et encore une matinée, sans récupérer, dans le but de pouvoir assister à une opération ou à un soin. C'est illusoire de croire qu'un humain est au top de son intellect pendant 24h pour pouvoir bien prendre en charge les patients."

Supervision déforcée

Cette charge de travail est une plongée sur le terrain de la future spécialité du médecin assistant, pour en apprendre les aspects les plus techniques. Mais c'est aussi à ce niveau que le bât blesse. "Travailler sous ce statut hybride et avec une telle charge de travail nous permettrait soi-disant d'apprendre beaucoup", explique le Dr Tebbache. "Mais en pratique, on passe énormément de gardes ou de nuits seuls. Beaucoup de choses sont demandées aux assistants pour obtenir leur spécialisation sans que les services mettent toujours tout en œuvre pour qu’on apprenne. Ca ressemble plus à de l'utilisation des médecins assistants comme main d'œuvre pas chère qu'à une formation sur le terrain. Ce qui n'est favorable ni pour le médecin assistant ni pour le patient."

Peu de disponibilité du maître de stage

L'évolution des besoins en soins de santé (plus de patients âgés, plus de recours aux urgences,..) a eu un impact sur la disponibilité des maîtres de stage. Un changement par rapport aux dizaines d'années précédentes. "Auparavant, maître et assistant étaient 24h/24 ensemble pour la transmission et l'apprentissage. Aujourd’hui, il arrive que l'on ne croise jamais le maître de stage lors de sa période de stage." Pour en avoir le cœur net, le CIMACS a réalisé une enquête sur les services de stage pour la période d’octobre 2019 à mars 2020. Dans le rapport d'enquête, on peut lire que 43,79 % des répondants déclarent que leur maître de stage n’a pas participé du tout à la formation et 32 % que leur maître de stage a contribué seulement 1 à 2 heures par semaine à leur formation. "C'est évidemment problématique parce que son rôle est aussi de valider le stage alors que parfois on n'a jamais travaillé avec lui de tout le stage" ajoute Dr Tebbache.

Stress et perte de sens

L'accumulation d'heures de travail sans repos, d'actes pas toujours suffisamment supervisés, de manque de vie sociale ont un impact non négligeable sur l'état d'esprit des stagiaires. "Je n’en peux plus. Je suis fatiguée, je suis en état de stress permanent les deux à trois jours précédant chaque garde tellement je suis à bout. J’en ai marre d’être en quatrième année de formation et qu'on me parle mal, d’être obligée de faire 24h à l’hôpital sans autre plan et de me faire réveiller, sans avoir la moindre vie à l’extérieur". "Globalement, les superviseurs ne s'enquièrent que très peu de notre santé mentale. Si nous avons une baisse de régime, personne ne va nous demander si nous allons bien mais plutôt insister sur notre productivité sans autre questionnement. Si nous nous sentons moins bien, cela sera considéré comme un problème purement personnel et nullement comme un problème qui fait partie d'un tout". Voilà deux témoignages issus d'une enquête réalisée par le CIMACS en mars 2021, sur invitation de l’INAMI qui souhaitait entendre les représentants des médecins assistants spécialistes belges sur le bien-être au travail.

"Le climat de stress et d'incertitude est permanent", confirme Serima Tebbache."Ce sentiment de lassitude se retrouve beaucoup chez les assistants qui sont dans les dernières années de leur formation. Nombreux sont ceux qui ne recommenceraient pas si c'était à refaire… Et ce sont des années, de 24 à 30 ans, où on aurait envie de se poser, d'avoir une famille, nos amis commencent à avoir des bébés, une maison et nous on est toujours là à travailler toutes les nuits, tous les week-ends, c'est assez lourd psychologiquement".

Avancées timides

La grève a permis de bousculer une routine ancrée depuis des années. Début de l'été, une convention collective a été signée. Elle décrit les conditions minimales qui doivent figurer dans les conventions de formation conclues entre hôpitaux et médecins spécialistes en formation. Elle prévoit notamment la rémunération pour les heures supplémentaires, mais aussi un système d'enregistrement de ce temps de travail supplémentaire. Des précisions sont aussi données sur le temps de repos après une garde et les congés. Cette convention devra être évaluée tous les deux ans.

"Il y a eu un effort d'écoute sur quelques points mais aucun grand changement, même si c'est très différent d'un hôpital à l'autre", estime Serima Tebbache."En fait, le plus gros changement après la grève a été la prise de conscience des hôpitaux et du public. Il y a eu un peu plus de contrôles surprises de la part de l'auditorat du travail dans les hôpitaux. Depuis, de plus en plus de chefs de service, de maîtres de stage qui font plus attention de respecter les maxima légaux en termes d'horaires."

Modèle de la convention