Plus de 11 milliards de doses de vaccins contre le Covid-19 ont été produites depuis un an, mais les trois-quarts ont été monopolisées par les pays riches. Si 52 % de la population mondiale a été vaccinée, moins de 6% de la population des pays à faible revenu est dans ce cas.[1]
La répartition inégale des vaccins augmente les risques de variants plus contagieux et plus résistants aux vaccins, comme on le constate actuellement. Après le variant Delta, le variant Omicron provoque une nouvelle vague mondiale de contaminations. Cela nécessite l’utilisation de doses de rappel supplémentaires et, en conséquence, une répartition des vaccins encore plus inégale avec un risque des nouveaux variants. Ainsi, la durée de la pandémie et ses conséquences économiques et sociales vont encore se prolonger.
Bien qu’utiles, les dons et la fourniture de vaccins aux pays à faible revenu via l’initiative COVAX[2] ont démontré leurs limites. La levée temporaire des droits de propriété intellectuelle et le partage des technologies favoriseraient la répartition équitable des capacités de production et l’approvisionnement juste et nécessaire. Le monopole de quelques firmes mène au contraire à la répartition des tests, vaccins et des traitements selon la loi du plus fort. Cette répartition inégale débouche sur une crise des droits humains.
L’Accord sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC), un des accords les plus importants de l’ Organisation mondiale du commerce (OMC) , garantit un monopole de minimum vingt ans aux entreprises détentrices des brevets et la confidentialité du savoir-faire de la production et des données. Une levée temporaire des droits de propriété intellectuelle permettrait aux pays à faible et moyen revenu de produire et approvisionner de manière autonome des vaccins, tests et traitements contre le Covid-19. La proposition, réitérée en mai 2021 par 62 pays, est soutenue par la majorité des membres de l'OMC. La mesure nécessite toutefois le consensus. Or l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni et la Suisse continuent de s’y opposer.
La Commission européenne, qui négocie à l’OMC au nom des États membres de l’UE (dont la Belgique), prétend que les droits de propriété intellectuelle ne sont pas un problème. Pourtant, ils représentent un obstacle légal à la production dans les pays à faible revenu, alors que plus de cent entreprises à travers le monde pourraient produire des vaccins mRNA, ainsi que des tests et des traitements. La Commission propose d’utiliser les flexibilités existantes de l’ADPIC. Pourtant, ces dernières ne sont pas adaptées à une pandémie, car trop limitées, trop complexes et requérant trop de temps pour les mettre en œuvre à une échelle suffisamment large pour produire des vaccins pour le monde entier.
La Commission refuse la proposition de suspendre les brevets et de contraindre les entreprises de partager leur savoir-faire de production. L’expérience de 2020 a pourtant démontré que des lignes de production pouvaient être développées en quelques mois. La douzième conférence ministérielle de l’OMC, qui devait aborder la proposition fin novembre à Genève, a été finalement reportée à cause de la situation épidémiologique.
La position de la Commission est contestée par le Parlement européen, qui a adopté à trois reprises des résolutions lui demandant de soutenir la proposition de levée des droits de propriété intellectuelle à l’OMC. La Belgique n’a quant à elle pas de position tranchée. La ministre de la Coopération au développement, Meryame Kitir, soutient la mesure, contrairement à la ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès. Pourtant, selon le sondage IPSOS publié en novembre dernier par Le Vif, 63% des Belges soutiennent la mesure (contre 29% indécis et seulement 8% contre).
Les États ont dépensé des milliards d’euros pour financer le développement et la production des vaccins. Ceux-ci sont à présent commercialisés par les firmes pharmaceutiques qui ont enregistré des milliards d’euros de profits depuis le début de la pandémie. Face à la succession de variants comme Omicron qui prolongent la pandémie, il n’est plus temps de tergiverser. La Belgique et l’UE doivent lever leur veto sur la suspension temporaire des droits de propriété intellectuelle à l’OMC et utiliser tous les moyens pour assurer le transfert des technologies vers des initiatives en faveur de la production locale de vaccins, de tests et de médicaments, comme le Covid-19 Technology Access Pool (C-TAP) et le mRNA technology transfer hub de l'OMS.
Carte blanche signée par un collectif de signataires dont Xavier Brenez. Parue dans l'Echo le 3 février 2022.
[1] Our World in Data : Coronavirus (COVID-19) Vaccinations. 19 Janvier, 2021. https://ourworldindata.org/covid-vaccinations.
[2] Créé pour aider les pays à bas et moyen niveau de vie à accéder aux vaccins en mutualisant les risques et en organisant des stratégies d’approvisionnement, le COVAX est codirigé (avec deux autres organisations) par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et financé dans une large mesure par des gouvernements.